15 Juin 2014
Très belle exposition au Musée du Jeu de Paume, jusqu'au 21 septembre.
Artiste aux modes d'expression très divers, le colombien Oscar Muñoz semble à la poursuite d'une quête insensée: figurer par l'utilisation de médias concrets et modernes (ou en voie de disparition comme l'argentique) la fuite du temps, l'impermanence, l'impossibilité de fixer par quelque moyen que ce soit une réalité qui se dérobe sans cesse, particulièrement au moment où on s'imagine en avoir perçu quelque chose.
Muñoz donne l'impression de vouloir dépasser ce paradoxe: comment une image peut-elle représenter non pas cet instant déjà mort, mais une permanence, un prolongement de son existence?
Son oeuvre commence par des
On entre dans l'exposition en marchant sur Ambulatorio (Déambulatoire, 1994) une photographie aérienne de Cali, sa ville natale, dont la géographie en partie rectiligne à l'exemple des cités nord-américaines, en partie enchevétrée dans ses faubourgs, ses quartiers pauvres. Cette image Le pouvoir dérisoire d'un Gulliver sur une cité virtuelle.
Le contexte social est omniprésent dans ces séries de travaux présentés par périodes de son travail.
Neuf cadres sont accrochés, pour A travès del Cristal (A travers le verre), disséminés sur un mur à la manière d'une exposition de photos de famille. Dans chaque cadre, un écran projette à la fois une photo empruntée à des habitants de Cali et son environnement, le lieu filmé dans lequel elle était exposée au départ, donnant l'impression du reflet sur la vitre du sous-verre de la vie qui entourait cette photo à son emplacement originel.
L'image qui se fait et se défait prend un tour à la fois angoissant et drôle, dans Sedimentaciones (Sédimentacions, 2011), où des photos et des feuilles de papier blanc sont disséminés sur une table. A chaque extrémité de la table, un bac de développement. Une main saisit une photo, la plonge dans l'un des bains où elle est débarassée de son impression, la feuille ressort blanche et est déposée sur la table. Puis la main prend une autre feuille blanche et la plonge dans l'autre bac où miraculeusement, les particules noires se regroupent sur le papier et l'image se reconstitue sous nos yeux. Ballet inlassable d'apparitions et de disparitions.
Variation des supports, avec une intérêt pour les empreintes aussi permanentes que fugitives: ces miroirs métalliques sur lesquels un visage est sérigraphié avec un matériau gras, il ne deviendra visible que si le spectateur souffle dessus, grâce à la buée crée par son haleine.
Cortinas de baño (Rideaux de douches, 1985-1986), des silhouettes sérigraphiées sur des rideaux de douche en mouvement, Alfred Hitchcock n'est pas loin...
Beaucoup de travaux utilisent l'eau et sa faculté de tout emporter sur son passage, catastrophes naturelles ou décidées par les hommes, reproduites ici à l'échelle des pertes humaines individuelles que chacune d'elles peut représenter.
Ces portraits d'anonymes peints sur une dalle de béton en plein soleil avec un pinceau imbibé d'eau, et qui disparaissent aussitôt tracés.
Assumer qu'une oeuvre est faite pour disparaître est constant dans la démarche, avec ces sucres imbibés de café qui créent des portraits. Même s'ils sont "solidement" protégés par des cadres en plexiglass, on ne peut que trembler face à leur décomposition imminente.