4 Janvier 2015
Film plutôt déroutant, ce Mr Turner..
On s'attend à la biographie un peu intimiste d'un grand homme, on attend Mike Leigh sur la façon dont il va rendre vivant, faire vivre l'homme des tableaux qui ouvrirent la voie aux symbolistes, puis à Van Gogh, à tous ces peintres qui réussirent à déposer la lumière sur leur toile.
Or ce personnage principal est au premier abord plutôt frustre, parcourant le pays dans tous les sens avec un carnet à dessins qui ne le quitte pas, et de retour chez lui, s’accouplant brutalement contre un meuble avec sa servante qui ne semble pas, elle, accepter passivement un droit de cuissage, mais être très éprise de son maître.
Campé par un Timothy Spall captivant dans sa façon de nous faire ressentir par des paradoxes saisissants, les subtilités de cette personnalité que la mise en scène distribue par touches éparses, finissant par composer un tableau extrêmement complexe. Parallèle voulu avec la peinture, violente et torturée du maître, sous une apparence de teintes douces, à l’image de l’impressionnisme qu’elle précède et annonce ?
C’est à son père que « Mr Turner » est le plus attaché ; celui-ci lui voue une entière dévotion, allant acheter ses toiles, préparant ses couleurs, se démenant pour permettre à son fils de n’avoir d’autre souci que sa peinture. Lorsqu’il décède, épuisé, Turner se précipite dans une maison de passe, s’isole dans une chambre avec une prostituée à laquelle il ne demande que de se dévêtir partiellement pour la dessiner. Il la croque à traits nerveux, torturés, puis fond en larmes, à gros sanglots qu’il ne tente pas de retenir, comme la décharge de son chagrin, qu’une pose gracieuse imposée à la jeune femme fait s’extérioriser. L’émotion est artistique et passe dans le dessin, sur ses carnets qu’il emporte partout, ou brute, sanglot ou décharge sexuelle. Rien ne passe par le langage.
Lors des voyages qu’il multiplie à travers l’Angleterre pour se fondre dans les paysages qu’il peindra ensuite, il loue une chambre sous un faux nom chez une veuve, il y revient et une relation s’établit entre eux. Lorsqu’elle lui parle de ses deux veuvages, du décès violent de son premier mari disparu lors d’un sauvetage en mer, une phrase fuse : « ma petite sœur est morte quand j’avais huit ans ». Elle s’assied, continue à parler, il l’interrompt pour lui demander de tourner son visage vers la lumière et loue sa beauté. Là encore, la parole fuse, comme incontrôlée, il ne cherche pas à lui faire un compliment, il ne parle pas à une femme que ces mots pourraient toucher, il exprime une évidence brute. Le verbe n’a pas valeur de communication, mais Mrs Booth lui parle, et il se met alors à exprimer par des mots ce qui jusque là n’était jamais dit.
Il va passer de plus en plus de temps avec elle, jusqu’à s’installer avec elle dans une maison qu’elle achète à Londres, au désespoir de sa servante qui s’éteint de son départ, se dégradant physiquement, frappée par une maladie de peau qui la défigure.
Lorsqu’une jeune fille désespérée est retrouvée morte noyée, il se précipite sur le port pour la dessiner. On croit un instant qu’il s’agit de la servante. Est-ce une image d’elle redevenue jeune et jolie ?
Cette personnalité déroute par sa discordance : une capacité à créer une peinture merveilleuse, où par une simple touche vive sur une toile terminée va s’exprimer une tragédie toute autre, une peinture que ses contemporains ne comprennent pas toujours, la reine Victoria pense qu’il perd la vue…