29 Juin 2012
Je vais vous parler encore une fois d'un spectacle indispensable auquel, malheureusement, vous ne pourrez pas assister pour le moment, mais qui sait...?
Dans la nuit de samedi à dimanche dernier, le Parc Culturel de Rentilly, riche lieu culturel de Seine et Marne donc je vous avais déjà parlé ici, organisait une lecture de la dernière pièce de theâtre écrite par Jacques Jouet. Il était prévu que cet événement quelque peu hors du commun débute à minuit pour se terminer au lever du soleil.
Quand ma copine Valérie m'a fait part de ce projet, j'ai aussitôt accepté. La poésie de Jacques Jouet, son écriture en général, libèrent forcément un sourire, celui que la grâce et la subtilité font naître. Du plaisir, de la joie en perspective, donc, et sur une nuit entière! Comment ne pas s'enthousiasmer?
A notre arrivée, la distribution de couvertures en prévision d'une nuit fraîche peuplait déjà les lieux d'ombres fantomatiques.
On se dirigeait vers la scène installée, pour prendre place.
Présentation de la pièce par l'auteur:
« Je vous accorde votre grâce, disait Louis XV à Charolais, qui venait de tuer un homme pour se divertir, mais je la donne aussi à
celui qui vous tuera. »
Cette phrase, tirée de La Philosophie dans le boudoir, de Sade, ouvrage austère, comme le souligne J. Jouet dans un sourire, lui a inspiré cette fable moderne en costumes, située à la cour de Louis XV,
mais dont les accents acérés sur la notion de justice ont une résonance forte tout à fait actuelle.
Elle est d'ailleurs tirée de la partie « Français, encore un effort si vous voulez être républicains » de la Philosophie dans le boudoir.
Le comte de Charolais, pour se divertir, tire sur un paysan, le tue, et éclate d'un rire tonitruant qui se répercutera et nous obsèdera tout au long de la pièce.
Mademoiselle de Charolais, qui s’avance, au public.
— Alors, le roi s’est approché. Le roi a demandé au comte pourquoi il avait tué cet homme. Il lui dit cela sur le ton de la
conversation courtoise. De loin, on ne pouvait pas deviner que leur entretien roulait sur ce sujet scabreux. Le comte a dit qu’il n’avait tué ce paysan que pour se divertir. Le comte de Charolais
est mon frère. Nous sommes des frère et soeur très libres. De loin, le roi a distingué Juliette sur le corps de son père. C’était triste et intense. Même à cette distance on se rendait très bien
compte. Il se passait vraiment quelque chose. Je peux en parler, j’étais là. J’accompagne parfois le roi dans ses chasses, le jour, la nuit, ce que ne font pas beaucoup de femmes. Le roi a dit au
comte qu’il lui accordait sa grâce, mais qu’il l’accordait aussi à celui qui le tuerait, le tuerait lui, Charolais. Le roi s’est éloigné de Charolais et il souriait.
La fille du paysan, Juliette décide d'épouser celui qui tuera Charolais, et sera donc gracié par le roi.
La pièce va donc être construite autour de la recherche de ce justicier potentiel, et des raisons qui le motivent: soif de justice, amitié pour le paysan assassiné, amour pour Juliette, ambitions personnelles, haine, indignation, désir de vengeance?
Et aussi de l'attitude de Charolais face à cette accusation et à cette mort promise. Il ne se repend en aucune façon, et les accents de
sa justification semblent soudain universels, le pouvoir du puissant face à ceux dont la vie n'a pas la même valeur. Il est sincère:
Charolais.
— Il n’y a pas eu de cruauté. Est-ce que j’ai arraché les yeux d’un homme avec mes dents comme on le voit dans votre Shakespeare ? Est-ce que j’ai mangé le coeur cru d’une femme ou d’un enfant ? Est-ce que j’ai bourré son cul vivant de poudre et mis le feu comme on faisait encore hier des protestants ? J’ai lancé une balle toute propre. Elle a fait un trou dans un coeur. J’ai le coup d’oeil. Dans la ligne de mire, je sais où trouver le coeur sous le tissu rugueux, le tissu qui pue la crotte et qui est tout gorgé de sang de lièvre. Le sang du braconnier vaut celui du gibier qu’il n’avait pas le droit de prendre. Il n’a pas souffert. Il n’a pas connu les tortures d’un garenne étranglé dans un collet. De cela aussi, parlons-en. Je n’ai pas tué que pour me divertir, même si cela m’a diverti. Justice est faite. La balle n’est même pas abîmée. Elle est toujours aussi ronde. Elle peut resservir dans son office de propreté. Il n’y a pas eu de cruauté.
Mais Juliette réclame justice et le Roi l'entend, à sa façon:
Louis XV, à Juliette.
— Demande-moi ce que tu veux.
Juliette.
— Je ne demande rien. Je ne veux pas de robe. Je ne veux pas de chocolat chaud servi par un nègre. Je ne veux pas d’oeillade, même.
Je ne veux que justice. Je ne veux pas qu’on me dise que je suis belle. Je ne veux pas qu’on balaie la poussière devant mes pas. Je ne veux pas d’un homme qui me veuille. Je ne veux que justice.
Je n’envie personne. Je
n’accepterai aucune faveur. Je ne veux pas être préférée. Je refuse d’être favorite ou favorisée. Je ne demande rien. Je ne veux pas d’un châle de fête. Je ne veux pas de soins, de pommade ou de
savon parfumé. Je ne veux pas de caresse dans le sens du poil. Je ne veux pas de complice, fût-il le suprême. Je ne veux pas de fruits confits. Je suis obligée de changer tous mes désirs.
Louis XV.
— Qu’on lui donne de l’argent.
Juliette.
— Non.
Louis XV.
— Qu’on lui donne quoi ?
Juliette.
— Justice.
Louis XV.
— Hou là ! C’est un mot de gros calibre. Mais tu as raison, Juliette, il est de notre ressort. La justice va certainement venir. Nous sommes intéressé de voir cela.
La lecture se déroule en trois lieux, entre réflexion, accents tragiques, frivolité, humour, badinerie...
Après l'entracte, la scène se déplce sous le grand cèdre du Parc de Rentilly, il est deux heures trente.
Nous avons la chance de ne pas avoir une goutte de pluie, mais les couvertures ne sont pas superflues.
La construction nous tient en haleine, même si on a des petits coups de fatigue passagers.
La beauté de certains détails apparaît par fulgurances
Troisième lieu, peu avant le lever du jour, un grand feu a été monté, et allumé,
autour duquel l'épilogue se déroule, inattendu.
Je ne vous en dis pas plus, j'espère que vous pourrez y assister aussi!
Et puis le jour se lève,
je salue la performance des acteurs, cinq heures de jeu, c'est quasiment sportif.
Café, viennoiseries, impressions au soleil levant.
On se disperse
Tenter d'aller dormir quelques heures, dans le plaisir d'avoir vécu un grand moment.